Ca vous est déjà arrivé de débarquer dans un endroit et de vous sentir littéralement comme un cheveu dans la soupe ? Des situations étranges, auxquelles on ne peut repenser qu’à force de grandes doses d’humour, sans quoi le pathétisme de ces moments vous engloutit…Le sentiment de ne pas être à sa place se mêle alors à la sensation atroce et extrêmement angoissante d’être happée par un monde que l’on cherche à fuir.
Pourtant, tout avait bien commencé, après quelques verres de sangria et un repas arrosé pour le premier soir du festival de la BD, ce début de soirée ayant été principalement marqué par l’idée tenace et fantasmée de mes deux acolytes, Yoo’m et Lynda, sur les bals de pompiers du 14 juillet. Avec tout le cortége de l’imagerie populaire sur ce type de manifestation, à savoir une nuée de bellâtres en uniforme, des costauds, pas très finauds, mais dont la belle gueule et l’aura de super héros font saliver toutes les célibataires et les cœurs brisés.
En soi, l’idée paraissait alléchante, au pire plaisante.
Mue par un instinct de conservation légitime, je les suivais dans la voiture sans trop y croire, mon cynisme légendaire s’étant tout de même mis en veilleuse pour ne pas gâcher le rêve de jeunes filles en fleur. Et puis, trois nénettes dans une auto, écoutant « Louxor » à fond, sur une route sinueuse avait un petit goût d’aventure bien enviable comparée à mes journées plombées paumées au fond de la campagne ! Et on m’a toujours dit que les choses les plus simples étaient toujours les meilleures.
Arrivées aux abords du premier village, gonflées à bloc par la musique souvent qualifiée de sauvage par nos parents qui n’y comprennent rien, force fût de constater que nous avions plus l’impression de débarquer au beau milieu d’un survival horrifique que dans le remake moderne d’un conte de fées, où les princesses trouvent leur prince charmant. A tout moment, je m’attendais à être attaquée par un loup-garou, d’autant plus que la lune était pleine et rougeoyante. Réprimant une envie subite d’hurler à la mort, histoire de se mettre dans l’ambiance, Lynda continuait de conduire dans les petites rues de plus en plus étroites et totalement désertes.
Un halo de lumière sur le bas côté attira notre attention et apaisa momentanément mon inquiétude. Offrant nos sourires les plus commerciaux aux deux autochtones qui se trouvaient à la terrasse d’un restaurant qui était sur le point de fermer, c’est avec un courage faisait fi du ridicule de notre situation que Lynda aborda l’un d’entre eux. Et c’est vrai qu’on s’est senti immédiatement rassuré à la vue de ce jeune homme rasé et tatoué, dont le style rock’n roll jurait avec les vieilles pierres du site. Un signe du destin qu’on s’est dit… Faut dire qu’on s’attendait un peu à tomber au beau milieu d’une bande de rednecks dégénérés jouant du banjo !
Mais quand même, il faut applaudir la performance d’actrice de Lynda, dont la voix n’a pas tremblé une seule seconde lorsqu’elle débita qu’on cherchait le bal des pompiers. Et qui est par ailleurs restée tout aussi stoïque face au rictus taquin du mec, qui a dû nous prendre pour trois échappées de l’asile. Moi, bien entendu, à l’arrière, je faisais comme si je ne la connaissais pas, essayant par le regard d’informer le type que je n’étais qu’une victime d’un coup monté et que je trouvais, comme lui, que le bal des pompiers, c’était ringard ! Je ne sais pas trop s’il a bien saisi la nuance, toujours est-il qu’il nous a livré l’information capitale sur le lieu de la féfête du village. A l’heure qu’il est, il ne doit pas encore avoir fini de rire !
A ce stade, on pourrait se dire qu’on avait vraiment touché le fond, tant c’était mal barré. Et pourtant, c’était rien comparé à la gueule qu’on a tiré quand nous avons atteint notre but. On aurait dû se méfier quand on a croisé des nénettes de douze ans qui repartaient en sens inverse, et qui nous ont dit que le « bal » touchait à sa fin. Et c’était pas encore minuit ! Délire.
Mais comme dirait le paysan du coin, quand le vin est tiré, il faut le boire. Et on l’a bu jusqu’à la lie.
Sur le parking du village (ah ben, oui, on a quand même échappé à la salle des fêtes !), se tenait une scène avec un certain nombre de greluches et de grelus (nom masculin pour greluche !) qui chantaient les tubes de la scène rock française actuelle, à savoir Gilbert Montagné et Natacha St Pier (mais je suis pas sûre, parce que je faisais de gros efforts pour pas écouter ce qu’ils chantaient vraiment). Sur la piste, trois pelés et un tondu, particulièrement motivés et tout autour, les habitants du village, dont certains avaient sortis les habits du dimanche, assis sur des chaises en plastique et alourdis sans doute par les sandwichs au merguez.
Dans ma tête, j’essayais de me convaincre que tout ceci n’était qu’un cauchemar et je me raccrochais à l’idée que c’était pas grave, parce que 72 heures plus tard, on allait voir les Strokes et que ça valait bien de souffrir un peu et surtout de survivre !
Afin d’écarter la sidération qui menaçait de nous pétrifier, on s’est automatiquement dirigé vers la buvette. Pour noyer notre déception. Dans la bière chaude. Et parce qu’il y avait trois pompiers défraîchis à côté. Comble de l’humiliation, ils se sont enfuis trois secondes après notre arrivée, soi-disant pour aller sauver quelqu’un en difficulté. Pffff !
On s’est éclipsés furtivement au bout de quelques minutes, pour rejoindre la piscine de notre hôtel, où là, coup de grâce, nous avons été accueillies par une parole pleine de réconfort : « De toutes façons, les seules personnes que je connaisse qui ont eu un rapport sexuel avec des pompiers, ce sont des hommes. »